Dans une société hyperconnectée où le smartphone est devenu une extension du corps, filmer un rapport s3xuel est passé, pour une partie significative des 15-30 ans, d’une pratique marginale et taboue à une forme relativement courante d’expression intime. Cette tendance, qui s’est fortement accélérée depuis les années 2015-2020, suscite à la fois fascination et inquiétude, surtout quand on constate la multiplication des cas de fuites non consenties, communément appelées revenge porn ou diffusion non consentie d’images intimes.
Une banalisation accélérée par la technologie et la culture numérique
Pourquoi tant de jeunes couples (ou parfois même hors couple) décident-ils aujourd’hui de s’enregistrer pendant l’acte s3xuel ?
Plusieurs facteurs se combinent :
- L’influence massive du porno amateur Les plateformes comme OnlyFans, TikTok (contenus soft) ou les sites X gratuits ont normalisé l’idée que « se filmer » fait partie de la s3xualité contemporaine. Le p0rn0 amateur représente aujourd’hui plus de 80 % du contenu consommé par les moins de 30 ans sur les grands tubes. Beaucoup de jeunes reproduisent inconsciemment ce qu’ils voient : lumière tamisée, angle de caméra, mise en scène du plaisir.
- Le sexting devenu routine relationnelle Selon plusieurs études internationales récentes (2024-2025), entre 40 % et 70 % des jeunes adultes ont déjà pratiqué le sexting (envoi de photos/vidéos intimes). Filmer un rapport apparaît souvent comme une extension logique : on passe du nude statique à la vidéo dynamique pour « montrer plus », pour exciter l’autre à distance ou simplement pour garder un souvenir.
- Le désir de validation et le narcissisme numérique Beaucoup de jeunes expliquent qu’ils se sentent « sexy », « désirables » ou « puissants » en se filmant. Recevoir des compliments sur une vidéo partagée en privé avec le partenaire renforce l’estime de soi dans une époque où l’apparence et la performance sexuelle sont omniprésentes sur les réseaux.
- La confiance dans la relation (parfois illusoire) La grande majorité des enregistrements se font dans un cadre consenti et amoureux. Les jeunes déclarent souvent : « On s’aime, on se fait confiance, il n’y a pas de raison que ça sorte ». Or cette confiance est fréquemment trahie.
- L’effet post-pandémie La période 2020-2022 a boosté toutes les pratiques s3xuelles numériques : +30 à 50 % de sexting et d’envois de contenus intimes chez les 15-25 ans selon plusieurs enquêtes européennes. L’habitude est restée.
L’envers du décor : l’explosion des fuites et du revenge porn
Le revers est brutal. Les enquêtes les plus récentes montrent une augmentation préoccupante des diffusions non consenties :
- En 2024, une étude Kaspersky / En avant toute(s) révèle que 13 % des Français ont déjà échangé des photos ou vidéos nues depuis leur téléphone, 34 % chez les 16-24 ans.
- 16 % des personnes interrogées avouent avoir déjà partagé des images intimes à des fins de vengeance.
- Chez les 15-34 ans, les chiffres sont encore plus alarmants : en 2023, un sondage Ifop/Lemon montrait que 38 % des hommes qui continuent à suivre leur ex sur les réseaux reconnaissent avoir partagé des photos intimes de leur ancienne partenaire sans consentement (contre 14 % chez les femmes).
- Les associations d’aide aux victimes (3018, e-Enfance, etc.) signalent une hausse continue des signalements depuis 2020, avec un pic notable chez les 15-20 ans.
Le passage du privé au public peut se faire en quelques clics : envoi à des « amis » qui diffusent, compte piraté, partage dans des groupes privés de garçons, upload sur des forums de « vengeance »… Une fois en ligne, la suppression est quasi-impossible.
Conséquences psychologiques et sociales dévastatrices
Les victimes (très majoritairement des femmes et des jeunes filles) décrivent souvent un véritable traumatisme :
- Anxiété généralisée, dépression
- Phobie sociale et scolaire/universitaire
- Rupture de confiance dans les relations futures
- Dans les cas les plus graves : idées suicidaires
Des études qualitatives montrent que beaucoup de jeunes filles arrêtent totalement d’envoyer des nudes après une mauvaise expérience, et certaines renoncent même à toute vie sexuelle pendant plusieurs années.
Que faire ? Prévention et (r)évolution culturelle
Face à cette réalité, plusieurs pistes émergent :
- Éducation au consentement numérique dès le collège (contenus, droit à l’image, rétractation possible, conséquences pénales)
- Messages clairs : « Une vidéo filmée ensemble peut être diffusée par une seule personne en 3 secondes »
- Outils techniques : filigrane invisible, applications qui bloquent les captures d’écran, messageries avec autodestruction renforcée
- Sanctions plus systématiques : la loi française punit jusqu’à 2 ans de prison et 60 000 € d’amende (article 226-2-1 du Code pénal), mais les condamnations restent rares
- Déconstruire la culture du « partage entre potes » qui existe encore dans certains milieux masculins
Se filmer en train de faire l’amour n’est pas en soi un problème. C’est une pratique qui peut être joyeuse, érotique et renforçante pour le couple quand elle reste strictement privée et consentie. Le vrai danger vient de l’illusion de contrôle dans un écosystème numérique conçu pour la viralité et où la confiance est très fragile.
Tant que la société ne traitera pas massivement le sujet du consentement numérique comme un enjeu majeur de santé publique et d’égalité, les fuites de vidéos intimes continueront d’augmenter en même temps que les pratiques d’enregistrement.
La génération actuelle est la première à vivre entièrement sa s3xualité à l’ère du smartphone ultra-puissant et des réseaux instantanés. Elle paye le prix fort pour apprendre, collectivement, les nouvelles règles de l’intimité 2.0. Espérons que les générations suivantes n’auront pas à les réapprendre aussi durement.
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