Depuis quelque temps déjà, nous assistons à une “ubérisation” progressive du marché du travail. Les plateformes numériques offrent divers postes tels que chauffeurs et livreurs, mettant les travailleurs dans la peau d'”entrepreneurs” souvent malgré eux.
Mais cette dynamique ne se limite pas au domaine physique ; elle s’étend également au monde virtuel à travers des missions ponctuelles dans des domaines tels que le design, le développement web, la rédaction, la relecture, l’analyse de données, et même des tâches répétitives servant à perfectionner les systèmes d’intelligence artificielle.
Selon une récente étude menée par la Banque Mondiale, cette tendance connaît une croissance notable.
Jusqu’à 400 millions de personnes seraient concernées par ce type de travail d’un nouveau genre, souvent à temps partiel. Ces tâches en ligne représenteraient même désormais plus de 10 % du marché du travail mondial, bien plus qu’il y a quelques années.
Namita Datta a dirigé l’écriture de ce rapport pour la Banque Mondiale. « Des entreprises de toutes tailles postent des tâches à accomplir sur une plateforme en ligne et un algorithme met en relation chaque tâche avec un travailleur inscrit sur cette plateforme. Le travail s’effectue en ligne, tout comme le paiement », définit-elle auprès de RFI.
« Ensuite, on peut distinguer deux types de travail : les “micro-tâches” qui ne prennent qu’une poignée de secondes à accomplir – par exemple identifier une voiture sur une image et cocher une case.
C’est très rapide, n’importe qui avec un téléphone peut le faire, mais la rémunération que vous obtenez est aussi très faible ». Et puis il y a une deuxième catégorie qui se rapproche plus du travail freelance et qui demande de réelles compétences : le travail informatique, le développement web, la traduction, l’analyse de données, etc.
Le secteur est en pleine croissance dans les pays en développement, particulièrement depuis la pandémie. L’Afrique sub-saharienne est la région du monde où cette croissante est la plus forte : +130 % en 5 ans.
L’étude de la Banque mondiale s’est particulièrement concentrée sur trois pays africains particulièrement en avance : le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud. « Nous n’avons pas tellement été surpris de voir à quel point le secteur était en croissance dans cette région », précise Namita Datta.
« Ce que l’on ne soupçonnait pas en revanche, c’est à quel point la demande est locale. C’est vrai que 70 % de la demande vient toujours des pays occidentaux, des États-Unis ou d’Europe. Mais de nombreuses plateformes fonctionnent aussi au niveau local ».
Il faut dire que la proposition à de quoi séduire : elle promet l’accès à l’emploi à des publics qui en sont souvent éloignés, aux femmes notamment, un complément de revenus pour les étudiants et une plus grande souplesse dans la gestion du temps, sans contrainte de déplacement… à condition d’avoir une connexion internet.
« Je pense aux jeunes Africaines qui n’ont pas toujours accès à des offres d’emploi intéressantes dans les villes ou les villages où elles vivent. Cela permet aussi l’accès à un revenu dans les zones de conflit », précise Namita Datta.
« Mais c’est aussi une opportunité pour les petites entreprises des pays en développement, celles qui viennent de se créer : ces plateformes leur donnent accès à compétences et à des travailleurs qu’elles ne trouveraient pas dans leur environnement immédiat. »
Mais attention, prévient la Banque mondiale, derrière la promesse de transformer les travailleurs en entrepreneurs se cache aussi des boulots mal rémunérés, sans protection sociale, ni garanties de revenus, des tâches confiées par des plateformes basées à l’étranger qui échappent au droit du travail des pays où elles opèrent.
« Comme il n’y a pas de relation directe employeur / employé, la plupart des travailleurs n’ont pas d’assurance santé, ne cotisent pas pour leur retraite, n’ont pas de congé maladie s’ils tombent malade. »
Les auteurs du rapport appellent donc les gouvernements à se pencher sur le sujet. « Mais on ne peut pas envisager la régulation de la même manière dans les pays développés, aux États-Unis, en Europe, et dans les pays en voie de développement », insiste Namita Datta.
« Cette nouvelle économie est une opportunité et une chance qu’il ne faut pas tuer en la régulant trop fort et trop vite. Les régulateurs, les politiques, le secteur privé, les ONG, les scientifiques : nous devons tous travailler collectivement pour trouver de nouvelles manières de fonctionner adaptées.
En attendant, les gouvernements doivent travailler à offrir à cette force de travail par définition dispersée une avenue pour exprimer des inquiétudes, faire valoir des demandes ou dénoncer des pratiques injustes. »
Cette nouvelle économie s’annonce aussi déjà comme l’une des plus perméables à l’influence grandissante de l’intelligence artificielle. Là aussi, c’est à la fois un risque et une opportunité. D’un côté, les géants du secteur sont déjà sources d’emplois tant ils ont besoin de données pour nourrir leurs IA.
De l’autre, l’intelligence artificielle sera bientôt déjà en mesure d’accomplir toute seule certaine des tâches qui aujourd’hui font vivre ces nouveaux prolétaires du numérique. « Mais ils seront aussi les mieux armés et les mieux préparés pour s’adapter », veut croire Namita Datta.
Souce : RFI
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