Ce samedi 3 mai 2025, le Togo a marqué un tournant historique en élisant Jean-Lucien Kwassi Lanyo Savi de Tové comme premier président de la Ve République, une transition vers un régime parlementaire où le rôle présidentiel est désormais honorifique.
Âgé de 85 ans, cet ancien opposant, juriste et figure emblématique de la politique togolaise, incarne un symbole de réconciliation nationale. Mais qui est cet homme dont le parcours traverse plus de six décennies d’histoire politique mouvementée ? Cet article retrace la vie, les combats et l’héritage de Jean-Lucien Savi de Tové.
Les débuts d’un juriste engagé
Né le 7 mai 1939 à Lomé, Jean-Lucien Savi de Tové appartient à l’ethnie éwé, majoritaire dans le sud du Togo. Diplômé en droit de l’université de Bordeaux, il débute sa carrière dans l’administration togolaise peu après l’indépendance.
En 1967, à la suite du coup d’État de Gnassingbé Eyadéma, il est nommé secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, un poste stratégique qu’il occupe jusqu’en 1974. Cette période marque ses premiers pas dans la haute fonction publique, où il se distingue par sa rigueur et son sens de l’État.
Cependant, son engagement prend un tournant décisif en 1979. Accusé de participation à une tentative de coup d’État aux côtés de figures comme Gilchrist Olympio, Savi de Tové est arrêté et condamné à dix ans de prison. Cet épisode forge sa stature d’opposant résolu face au régime autoritaire d’Eyadéma, un combat qui deviendra le fil rouge de sa carrière.
Une figure de l’opposition dans les années 1990
Libéré, Jean-Lucien Savi de Tové s’impose comme un acteur clé de la transition démocratique au Togo avec l’avènement du multipartisme au début des années 1990. En 1991, il cofonde le Parti des Démocrates pour l’Unité (PDU) et participe activement à la Conférence nationale souveraine, un moment charnière pour la démocratisation du pays.
En 1993, depuis Cotonou, le Collectif de l’opposition démocratique le désigne comme « Premier ministre » alternatif, en protestation contre la complaisance perçue du gouvernement officiel envers Eyadéma. Bien que symbolique, cette nomination renforce son image de résistant.
En 1999, le PDU fusionne avec d’autres partis pour former la Convergence Patriotique Panafricaine (CPP), dirigée par Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine.
Savi de Tové devient vice-président de la CPP, consolidant son rôle de médiateur et de voix modérée au sein de l’opposition. Son engagement pour le dialogue politique se manifeste pleinement lorsqu’il signe, en 2006, l’Accord Politique Global au nom de la CPP, un texte visant à promouvoir des réformes démocratiques.
De l’opposition au gouvernement : une trajectoire complexe
En 2005, à la surprise générale, Jean-Lucien Savi de Tové accepte un poste de ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat dans le premier gouvernement de Faure Gnassingbé, fils d’Eyadéma.
Ce virage suscite des critiques parmi ses anciens alliés de l’opposition, qui y voient une compromission. Toutefois, Savi de Tové défend cette décision comme un moyen de contribuer à la stabilité nationale. Il occupe ce poste jusqu’en 2007, jouant un rôle actif dans les négociations économiques et commerciales.
En 2009, il est nommé président du Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC), une instance créée pour favoriser le dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Sous sa direction, le CPDC gagne en légitimité, et Savi de Tové s’impose comme une figure de consensus, capable de naviguer entre des camps politiques souvent antagonistes. Cette période met en lumière sa capacité à privilégier la négociation sur la confrontation, une qualité qui le distingue dans un paysage politique polarisé.
Une élection symbolique dans la Ve République
L’élection de Jean-Lucien Savi de Tové à la présidence le 3 mai 2025 intervient dans un contexte de profondes mutations institutionnelles. La nouvelle Constitution, promulguée en mai 2024, instaure un régime parlementaire où le président du Conseil, Faure Gnassingbé, détient l’essentiel du pouvoir exécutif.
Le rôle du président de la République, désormais élu par le Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis), se limite à des fonctions honorifiques : incarner l’unité nationale, garantir la stabilité des institutions et représenter l’État.
Proposé comme candidat unique par l’Union pour la République (UNIR), le parti au pouvoir, Savi de Tové est élu à l’unanimité des 150 votants. Cette désignation, bien que sans suspense, est perçue comme un geste d’ouverture politique, intégrant une figure historique de l’opposition dans les hautes sphères de l’État.
À 85 ans, il prête serment en déclarant : « Devant Dieu et devant le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté nationale, Nous jurons solennellement fidélité à la Constitution. »
Un homme de consensus dans un climat tendu
Malgré son élection, le Togo reste marqué par des tensions politiques. L’opposition et la société civile dénoncent la nouvelle Constitution comme un moyen pour Faure Gnassingbé de conserver le pouvoir sous une forme déguisée. Des manifestations sont annoncées dès le 4 mai 2025 pour contester cette transition institutionnelle. Dans ce contexte, Jean-Lucien Savi de Tové, avec son passé d’opposant et son expérience de médiateur, apparaît comme un choix stratégique pour apaiser les critiques et incarner une certaine neutralité.
Polyglotte (il parle français, anglais, allemand et italien), père de quatre enfants et décoré de distinctions comme l’ordre du Mono et la Légion d’honneur française, Savi de Tové est respecté pour son intégrité et sa discrétion.
Son passé de haut fonctionnaire, d’opposant emprisonné et de ministre réconciliateur en fait une figure complexe, capable de symboliser à la fois la résistance et le compromis.
Un symbole pour l’avenir du Togo
À la veille de son 86e anniversaire, Jean-Lucien Savi de Tové entre dans l’histoire comme le premier président de la Ve République togolaise. Son mandat, d’une durée de six ans renouvelable une fois, sera celui d’un garant des valeurs républicaines dans un rôle symbolique.
Si son élection ne dissipe pas toutes les tensions, elle marque une volonté de dialogue et de renouveau institutionnel. Dans un pays où la politique a souvent rimé avec division, Savi de Tové incarne l’espoir d’une transition pacifique vers un avenir plus uni.
Alors que le Togo navigue dans cette nouvelle ère, le parcours de Jean-Lucien Savi de Tové rappelle que la démocratie se construit par la persévérance, le compromis et un engagement indéfectible pour le bien commun. Son histoire, celle d’un homme passé de la prison à la présidence, est un témoignage de la résilience d’un peuple en quête de stabilité et de justice.